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6e présentation : Pierre Pirard « Vous n'êtes pas des élèves de merde »

Après avoir occupé pendant plus de 25 ans des postes de direction dans de grandes entreprises, Pierre Pirard a décidé de donner cours dans une école molenbeekoise à discrimination positive. Il y a quelques semaines, il a sorti un livre au titre éloquent : « Vous n'êtes pas des élèves de merde ».

Comment s'en sortent ses étudiants de 7ème année en « gestion de très petites entreprises » ?

Pendant 25 ans, Pierre Pirard a été chef d’entreprise et a travaillé pour des multinationales, dans différents pays. Dans un moment de crise de la quarantaine, il a décidé de changer. Il s’est demandé ce qu’il voulait faire du reste de sa vie et s’est rendu compte qu’il voulait un changement radical, ne plus continuer à gérer des entreprises, mais qu’il voulait devenir professeur. Si en Belgique ce métier n’est pas très valorisant (on y associe souvent des attributs tels que fainéant, gréviste, etc.), Pierre Pirard trouve tout de même qu’il reste le plus beau métier du monde. En relevant le défi, il a décidé de le faire dans des milieux socio-culturels qu’il ne connaissait pas ou très mal et a commencé à se former. Il a acheté « L’Islam pour les nuls », un petit livre qui lui a appris beaucoup de choses. De plus, il a commencé à se promener dans d’autres quartiers, rue du Brabant, chaussée de Gand, etc., et il a ainsi croisé une jeunesse et une population qu’il ne connaissait pas avant. Il lui est venu l’idée qu’il serait intéressant de partager avec ces gens-là ce qu’il avait fait pendant 25 ans, c’est-à-dire créer et gérer une entreprise. Il a eu la chance de trouver un emploi en tant qu’enseignant à Molenbeek, dans une école aux Ursulines, où il enseigne la création d’entreprise en « 7ème GTPE » (Gestion de Très Petite Entreprise), une formation pour des jeunes qui ont fait un parcours en école professionnelle mais n’ont pas la possibilité de créer leur entreprise car ils manquent de certificat de gestion. Avec la formation en 7ème GTPE, ils peuvent avoir ce certificat et le Certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS). Les jeunes développent un projet de créer une société de service ou un petit commerce, et Pierre Pirard leur enseigne la gestion et la législation. Il s’agit surtout de leur donner des outils tels que des connaissances en créativité, en persévérance, en autonomie et en prise d’initiative, qui leur seront utiles, quel que soit le métier dans lequel ils vont se diriger par la suite, qu’ils créent leur entreprise ou non. Pierre Pirard donne également des cours de technique d’accueil en 6ème professionnelle en parcours d’Auxiliaire Administratif et d’Accueil (« AAA »), en les formant à devenir hôtesse.

Son analyse après deux ans dans l’enseignement porte sur trois points.

Premièrement, il faut absolument former beaucoup plus les jeunes enseignants, surtout ceux qui vont dans des écoles à discrimination positive, à aborder les types de public auxquels ils seront confrontés. Actuellement, ils ne sont pas du tout formés à ce type de public.

Deuxièmement, il a découvert un métier, le métier de professeur. Ce métier est fort différent du métier qu’il avait exercé auparavant, dans le secteur privé. C’est un métier très solitaire. On est 7 à 8 heures par jour devant une classe de 15 à 20 élèves, tout seul, sans accompagnement, sans coaching. A son avis, il faut aussi absolument que la Communauté Française aide à créer un esprit de solidarité entre les différents enseignants et à beaucoup plus fédérer.

Troisièmement, la rencontre avec ces jeunes était bouleversante pour Pierre Pirard, pour différentes raisons. D’abord, il se demande comment cela se fait que ces jeunes à qui il enseigne et qu’il côtoie au jour le jour, qui sont loin d’être des « élèves de merde »et qui ont énormément de bon sens et de motivation, ont si peu d’acquis en termes de connaissances, que ce soit en géographie, en mathématique, ou en français. Il s’explique cet écart entre la motivation et les connaissances par deux constats. Le premier est que l’école n’est plus le centre de la vie de ces jeunes. L’école est devenue une activité parmi un certain nombre d’autres choses qu’ils ont à faire. A son avis, il faudrait recentrer ces jeunes au sein de l’école, par toute une série d’activités. L’école joue un rôle d’enseignement, mais aussi d’éducateur, que les parents ne font plus toujours, que la communauté ne joue plus toujours, notamment en ce qui concerne le respect. Ayant observé la violence verbale, physique, et la discrimination sexiste, il constate un manque de respect, non seulement par rapport à l’enseignement en tant qu’école, mais par rapport aux professeurs et entre élèves.

Pour Pierre Pirard, une ébauche de solution peut être la reprise de confiance. Les jeunes qu’il rencontre tous les jours, âgés entre 17 et 22 ans, ont vécu un parcours scolaire très chaotique et sont en crise - ce qui touche directement leur confiance en eux. Par conséquent, la première chose est de reconstruire une image positive. Dans cet esprit, Pierre Pirard a récemment publié un livre qui s’appelle « Vous n’êtes pas des élèves de merde ». Par ce titre, qui voulait être provocateur, il veut essayer de leur redonner un peu de confiance et leur dire : « Vous n’êtes pas des élèves de merde, vous pouvez aussi réaliser vos rêves et vos ambitions ».