spaghetti

1ère présentation: Gilles Van Hamme (ULB)

Gilles Van Hamme est docteur en sciences et chercheur en géographie économique et aménagement du territoire à l'Université Libre de Bruxelles.

Croissance économique sans progrès social à Bruxelles ?

Gilles Van Hamme a récemment publié avec ses collègues Isaline Wertz et Valérie Biot de l'Université Libre de Bruxelles, une étude renversante. Comment est-il possible que, malgré la croissance économique, la situation sociale bruxelloise continue à baisser avec un taux de chômage et une dualité sociale grandissants?

L’étude, menée par l’ULB et la VUB, partait du constat intuitif d’une dichotomie à Bruxelles entre une évolution économique favorable et une situation sociale qui ne s’améliore pas. Elle avait pour objectif d’examiner, dans un premier temps, dans quelle mesure ce constat est vrai et, dans un deuxième temps, de comprendre pourquoi. L’étude comprend les cinq grandes villes belges (Bruxelles, Anvers, Gand, Liège et Charleroi) dans leur réalité globale, c’est-à-dire le centre-ville et sa très grande banlieue.

L’étude a pu montrer qu’effectivement, à partir du milieu des années 1990, il y eut un vrai renouveau économique à Bruxelles. La ville bénéficie d’une haute concentration des activités économiques, en particulier dans les services de haut niveau et la finance. Bruxelles a eu une croissance supérieure aux autres villes sauf Gand. Le centre de Bruxelles, comme tous les autres centres-villes, va moins bien que sa périphérie d’un point de vue économique, mais malgré tout, il va mieux que les centres-villes des quatre autres grandes villes belges.

Les chercheurs ont également pu constater au cours de cette étude que les inégalités sociales n’ont effectivement cessé de s’accroître. De 1985 à 2007, les inégalités entre ménages n’ont cessé d’augmenter, que ce soit dans la Région Bruxelles-Capitale ou dans les 19 communes plus les arrondissements environnants. De plus, les écarts entre quartiers se sont agrandis également. Bruxelles est de loin la ville en Belgique où on constate les écarts les plus importants entre le taux de chômage des quartiers les plus défavorisés et celui de l’ensemble du bassin. Aujourd’hui, les quartiers défavorisés à Bruxelles ont 29% de chômage, ce qui est moins que dans les villes wallonnes, mais les écarts entre les différents quartiers de Bruxelles sont bien plus prononcés que dans les autres villes et n’ont cessé de croire au cours de ces vingt dernières années.
Les constats intuitifs de départ, une dichotomie entre une évolution économique favorable et une situation sociale au mieux stagnante ont ainsi pu être confirmés. Comment expliquer ces évolutions ? Les chercheurs ont d’abord regardé quel type d’emploi est créé dans l’économie bruxelloise. Il s’agit, en effet, d’une concentration d’activités stratégiques dont bénéficie Bruxelles, et donc d’emploi plutôt qualifiés, et ce de manière plus prononcée à Bruxelles que dans d’autres villes. Bruxelles crée plus d’emplois qualifiés en termes relatifs que les autres villes, et supprime plus d’emplois peu qualifiés que les autres villes, à l’exception d’Anvers. Entre 1991 et 2001, cet écart a augmenté. Le chômage des très qualifiés a à peine augmenté, alors que le chômage des peu qualifiés a fortement augmenté, car en effet, la croissance repose essentiellement sur des activités hautement qualifiées avec des salaires élevés et, par conséquent, elle est peu créatrice d’emploi. 1% de croissance économique à Bruxelles ne crée que 0,5% d’emploi en plus dans le centre de Bruxelles, et sur l’ensemble du bassin, c’est la ville de Bruxelles qui pour 1% de croissance économique crée le moins d’emploi.

Enfin, l’étude essaie d’expliquer quel lien pourrait-il y avoir entre la polarisation sociale en termes d’inégalités entre les ménages et les inégalités entre les quartiers. Le chômage touche plus les jeunes que les âges moyens, les femmes que les hommes, les diplômés inférieures que les diplômés supérieurs, les nationalités turques et maghrébines que les Européens du nord-ouest, etc. Or, le chômage touche aussi plus les gens qui habitent les quartiers défavorisés que ceux qui habitent dans d’autres quartiers. La concentration des problèmes dans certains quartiers y accentue les difficultés de chaque individu de s’insérer sur le marché de travail. Les quartiers de la zone du canal, à diplôme égal et à âge égal, ont plus de chômage que les quartiers aisés. Quel que soit le niveau de diplôme et quelle que soit la caractéristique sociale, on retrouve toujours cet écart en défaveur des quartiers défavorisés.

Pourquoi la concentration des problèmes produit-elle des problèmes ? L’hypothèse des chercheurs est que l’enseignement dans ces quartiers-là n’est pas de même niveau. De ce fait, derrière un même diplôme se cachent en réalité des qualifications réelles différentes. En plus, les réseaux sociaux qui fonctionnent dans ces quartiers-là sont des réseaux de nature différente qui, en général, permettent moins d’accéder à l’emploi formel que d’autres réseaux sociaux dans d’autres quartiers.